Les causes des variations du niveau des mers
Le niveau de la mer peut varier sur de longues périodes pour plusieurs raisons:
- Les variations de masse de l'eau :
de l'eau peut être ajoutée à l'océan, surtout par la fonte des glaces terrestres (glaciers, indlansis). Une pluviosité plus forte au-dessus des océans, soit par l'augmentation du ruissellement et du débit des fleuves peut également augmenter la quantité d'eau. À l'inverse, plus de réservoirs d'eau artificiels peut mener à une diminuntion de l'apport d'eau. Une augmentation de l'évaporation peut également faire diminuer la masse d'eau (ainsi qu'une glaciation, comme cela s'est passé lors de la dernière grande glaciation, où le niveau des mers était environ à 100 m en dessous de ce qu'il est aujourd'hui). À noter que la fonte des glaces de mer, qui flottent sur l'océan, ne fait pas augmenter le niveau.
- Les variations de température :
l'eau se dilate en chauffant, ce qui conduit à un niveau plus élevé. Ceci conduit notamment à des variations saisonnières du niveau des mers, ainsi qu'à des différences d'une année sur l'autre, dues à des phénomènes climatiques (par exemple El Niño). Les changements de température sur de plus longues périodes (réchauffement climatique) ont, bien entendu, également un impact.
- Les variations de salinité :
plus l'eau est salée, plus elle est dense. Une eau très salée aura donc un niveau plus bas. Les variations de salinité peuvent être dues à l'apport d'eau douce (augmentation du ruissellement, de la pluviosité ou fonte des glaces), qui diminue la salinité, ou par une évaporation accrue ou une glaciation, qui l'augmentent.
- Les changement dans la circulation océanique :
des variations de niveau des mers (notamment locales) peuvent être dues à des changement dans la circulation océanique. Les courants peuvent se décaler sur des périodes de dix ans ou plus.
Les principaux facteurs à l'origine de l'élévation actuelle du niveau moyen mondial de la mer sont l'expansion thermique des eaux de mer et la perte de la glace terrestre. Ces contributions varient en fonction de la variabilité naturelle du climat et du changement climatique mondial induit par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Les eaux terrestres contribuent peu à l'élévation du niveau de la mer.
Réchauffement de l'océan
Les analyses des données in situ de la température de l'océan collectées au cours des 50 dernières années par des navires et récemment par les flotteurs-profileurs Argo indiquent que le contenu thermique de l'océan, et donc l'expansion thermique de l'océan, a significativement augmenté depuis 1950 (Levitus et al., 2009, Ishii et Kimoto, 2009, Lymann et al., 2010). En moyenne, sur l'ère de l'altimétrie satellitaire (1993-2010), la contribution de l'expansion thermique à l'élévation du niveau de la mer est de l'ordre de 1 mm/an (Church et al., 2011, Cazenave et Llovel, 2011).
Fonte des glaciers
Les glaciers de montagne, très sensibles au réchauffement climatique, ont reculé dans le monde entier au cours des dernières décennies. Cette fonte a connu une accélération significative depuis le début des années 1990. Une estimation de la contribution de la fonte des glaciers à la hausse du niveau de la mer a été réalisée sur une étude de bilan de masse portée sur un grand nombre de glaciers. Sur la période 1993-2010, cette estimation est estimée à 1 mm / an (Steffen et al., 2010, Church et al., 2011, Pfeffer, 2011).
Evolution du bilan de masse des glaciers (en gigatonnes par an). Un solde nul signifie que le glacier ne gagne ni ne perd de masse au cours de la période étudiée. Un solde négatif indique une perte de masse du glacier, donc une situation où de l'eau est ajoutée à l'océan. Pour faciliter la comparaison, la même période a été grisée sur les trois panneaux (voir bilan de masse pour le Groenland et l'Antarctique ci-dessous). Les bilans des glaciers (Cogley JG compilation) sont moyennés sur une période de 5 ans; les lignes verticales représentent la dispersion des mesures (écart-type) qui est inférieure à l'incertitude, le dernier étant d'environ 70.106 gigatonnes / an. Credits Legos/Berthier et al.
Calottes polaires
Le bilan de masse des calottes glaciaires étaient encore peu estimé avant les années 1990 en raison de l'absence ou du manque de mesures. Depuis, différentes techniques de télédétection sont disponibles et ont fourni des résultats importants des changements de masse des calottes du Groenland et de l'ouest Antarctique: par exemple, mesures aéroportées et satellitaires radar et altimétrie laser, radar à ouverture synthétique interférométrique -InSAR-, et depuis 2002; mesures de gravimétrie spatiale, avec la mission Grace.
Ces données montrent actuellement une perte de masse de ces deux calottes glaciaires à un rythme accéléré (par exemple, Steffen et al., 2010). Les plus récentes estimations du bilan de masse des calottes, fondées sur des observations spatiales (par exemple, Grace et InSAR) montrent en effet, une accélération de la perte de masse sur les dernières années (par exemple, Chen et al., 2009, Velicogna 2009, Rignot et al., 2011) .
Sur la période 1993-2003, un peu moins de 15% de la montée du niveau des océans était due à la perte de masse des calottes polaires (GIEC, 2007). Mais leur contribution a augmenté jusqu'à environ 75% depuis 2003-2004. Bien que n'étant pas constante dans le temps, cette perte de masse des calottes polaires explique, en moyenne sur 1993-2010, ~ 20% (soit ~0.6 mm/an) de la hausse du niveau de la mer (Steffen et al., 2010, Cazenave et Rémy, 2011, Church et al., 2011 ).
Evolution du bilan de masse des calottes polaires du Groenland (à gauche) et de l'Antarctique (à droite), mesuré par plusieurs techniques satellitaires: altimétrie laser et radar (en jaune), interférométrie radar InSAR (en bleu) et gravimétrie GRACE (en rouge). Ces mesures ont été enregistrées sur plusieurs périodes : les barres horizontales indiquent la période correspondante alors que les lignes verticales indiquent les incertitudes sur les mesures. Un solde nul signifie que la calotte glaciaire n'a ni gagné ni perdu de masse au cours de la période étudiée. Un solde négatif indique une perte de masse de la calotte, l'eau est ajoutée à l'océan. Les lignes horizontales en pointillés correspondent à l'équivalence de l'élévation du niveau de la mer (mm/an). Crédits Legos/Berthier et al.
Bilan du niveau moyen des deux dernières décennies
Bien qu'aucune des contributions climatiques discutées ci-dessus n'évolue linéairement dans le temps, en moyenne sur la période 1993-2010, le réchauffement des océans et la fonte des glaciers ont à peu près la même contribution dans le bilan du niveau des mers, à hauteur de 30% chacune; la contribution des calottes glaciaires est légèrement moindre (~20%). Finalement, ce budget, au cours de la période d'observation altimétrique est quasiment bouclé, en tenant compte des incertitudes de chacune des contributions.
Variabilité régionale
La variabilité régionale des tendances du niveau de la mer est principalement due à des changements à grande échelle dans la structure de densité des océans en réponse à des facteur de forçage (par exemple, la contrainte du vent, l'échange de chaleur et d'eau douce à l'interface air-mer) et aux changements associés dans la circulation océanique.:
Les plus grands changements régionaux dans les tendances du niveau de la mer résultent des changements de température de l'océan (c'est-à-dire de l'expansion thermique non uniforme), mais dans certaines régions, les changements de la salinité de l'eau sont également important (Bindoff et al. 2007).
L'autogravitation, les déformations élastiques et viscoélastiques de la Terre solide en réponse à la redistribution de la masse d'eau associée à la fonte des glaces terrestres actuelles et passées (cette dernière étant appelée rebond post-glaciaire -GIA-) sont également à l'origine de la variabilité régionale du niveau de la mer (Milne et al. (2009); Tamisiea et Mitrovica (2011)). Ces effets sont actuellement très faibles par rapport aux effets stériques mais pourraient devenir importants à l'avenir si la contribution de la calotte glaciaire augmente.
Les observations effectuées au cours des dernières décennies montrent que les tendances de l'expansion thermique ne sont pas stationnaires mais fluctuent à la fois dans l'espace et dans le temps en réponse aux modes internes/naturel de la variabilité du système climatique tels que ENSO (El Nino-Oscillation Australe), IOD (Dipole de l'Ocean Indien), NAO (Oscillation Nord-Atlantique) et PDO (Oscillation Décennale du Pacifique) (Bindoff et al. 2007; Meyssignac et al. 2012a,b).
Par conséquent, les motifs des tendances du niveau de la mer observés par l'altimétrie satellitaire sont des caractéristiques transitoires. Sur des échelles de temps plus longues, on s'attend à ce que ces tendances soient différentes de celles observées pendant la période altimétrique. Les reconstructions passées du niveau de la mer couvrant la seconde moitié du 20ème siècle le confirment (par exemple, Ray et Douglas, 2011; Hamlington et al. 2011; Meyssignac et al. 2012a).
Carte de dérive de la reconstruction du niveau de la mer entre les années 1950 et 2010. En haut: une tendance moyenne globale uniforme de 1.8 mm/an est appliqué. En bas: une tendance moyenne globale uniforme de 1.8 mm/an a été supprimé. Credits : Meyssignac et al., 2012a.
Accélération du GMSL
La vitesse du GMSL après correction de la dérive TOPEX-A s'élève à 3.1 mm/an sur 1993-2017 (même valeur pour toutes les corrections actuellement proposées). Cela correspond à une élévation moyenne du niveau de la mer d'environ 7.5 cm sur l'ensemble de la période altimétrique. Plus important encore, la courbe GMSL montre une accélération nette, estimée à 0.080 mm/an2 (Chen et al. 2017; Dieng et al. 2017) et 0.085 mm/an2 (Nerem et al. 2018). Cette accélération est illustrée dans la figure ci-dessous, où les tendances du GMSL sont calculées sur des fenêtres mobiles de 10 ans. Les tendances du GMSL sont proches de 2.5 mm/an sur 1993-2002 et de 3.0 mm/an sur 1996-2005. Après une tendance légèrement plus faible en 2002-2011, la tendance 2008-2017 atteint 4.2 mm/an. Les incertitudes (niveau de confiance de 90%) associées à ces tendances décennales diminuent régulièrement au cours du temps, passant de 1.3 mm/an sur 1993-2002 (correspondant aux données T/P) à 0.65 mm/an sur 2008-2017 (correspondant aux données Jason-2 et Jason-3).
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