Niveau moyen de la mer : une précision étonnante

Le satellite TOPEX/POSEIDON fournit, entre autres, une estimation du niveau moyen de la mer tous les dix jours.
On discutera ici de ce signal, estimé pour les cycles 3 (octobre 1992) à 52 (février 1994) par rapport à la moyenne de la première année d'observations.

Ces variations sont très petites et peuvent être a priori explicables par diverses erreurs de mesures. On peut cependant montrer que le signal saisonnier ne traduit pas la variation saisonnière de la couverture des données résultant des glaces de mer antarctiques, et que les fluctuations ne sont pas dues à la circulation mésoéchelle de l'océan. De même, ces signaux restent inchangés selon que l'on prend en compte les zones côtières ou non. Seulement 30 % de la variance du signal est explicable par les périodes apparentes des marées océaniques, si bien que les fluctuations ne peuvent pas être uniquement dues aux erreurs des corrections de marées, ni aux erreurs d'orbite qui leur sont corrélées. Enfin, ces fluctuations sont nettement plus grandes que les différences entre les deux corrections de troposphère humide ou entre les deux corrections ionosphériques (elles en sont en outre totalement décorrélées).

Quelques indices suggèrent qu'une partie de ces variations peut être réelle. Un calcul d'ordre de grandeur montre qu'il ne peut s'agir de variations de la masse de l'océan. En revanche, en ce qui concerne le signal saisonnier apparent, il semble :

1. que le niveau de la mer était plus élevé dans tout l'Atlantique nord en automne 1992, par rapport à l'automne 1993 ;
2. que le phénomène ENSO a abaissé de 1 cm le niveau moyen de la mer de toute la ceinture tropicale en janvier 1993 ;
3. que les évolutions saisonnières du niveau de la mer dans chaque hémisphère, qui sont dues principalement aux variations de la hauteur stérique, ont présenté entre elles des petites différences de phase de l'ordre du mois en 1993.

Il y a beaucoup de fluctuations réelles de l'atmosphère et des paramètres géophysiques aux périodes de l'ordre de 50 jours. Il n'est donc pas a priori étonnant qu'il y en ait dans l'océan.

La figure montre que les fluctuations apparentes de l'océan sont très corrélées à celles de la pression atmosphérique.

Ce qui est difficile à comprendre, c'est pourquoi l'océan global verrait de telles fluctuations de la pression ? Une possibilité vient de ce que les fluctuations à plus hautes fréquences de l'atmosphère (et du niveau de la mer) sont en partie décalées vers des périodes apparentes de l'ordre de 50 à 70 jours par l'échantillonnage du satellite.

Par ailleurs, les équipes d'orbitographie ne nous ont pas encore promis des orbites de précision sub-centimétrique ! Il est intéressant de noter qu'en moyenne sur 10 jours, les orbites de la NASA et du CNES présentent une différence très constante d'un cycle à l'autre de 1.0 ± 0.13 cm ; malheureusement, on ne peut probablement pas les considérer comme indépendantes. Il n'est pas impossible qu'il y ait de vraies fluctuations de l'orbite à des périodes proches de 50 jours, liées par exemple aux fluctuations de l'atmosphère ou du vent solaire, et qui seraient mal modélisées.

Il reste qu'il est assez surprenant qu'on puisse discuter ce type de variations, au niveau de quelques millimètres. En moyenne annuelle, la précision pourrait être encore meilleure, si bien que la détection de la dérive séculaire du niveau de la mer (qui est de l'ordre de 1.5 mm/an) pourrait être détectable en quelques années par ce satellite et ses successeurs, si le signal n'est pas masqué par des fluctuations ou des erreurs interannuelles qu'il nous reste à découvrir.