Point de vue : la vision et la volonté
Raymond Zaharia, nouveau directeur de programme Topex/Poséidon (CNES, France)
L'histoire des succès de l'activité spatiale en France et en Europe montre que des programmes aussi différents qu'Argos, Spot, ou Ariane, ont tous une caractéristique commune : une vision prospective de leur utilité et une ferme volonté de les mener à bien. Sans être toujours très précise, cette vision était surtout crédible pour résister, parfois avec quelques adaptations, à l'épreuve des faits, ou plus exactement du ... marché.
Pour quelqu'un qui, comme moi, vient d'être « initié » à l'altimétrie océanique, l'année qui vient de s'écouler a été particulièrement passionnante et instructive. Incontestablement, la courte histoire de l'altimétrie océanique, de Dorade et Geos3 3 à Geosat, ERS-1 et Topex/Poséidon, en passant par l'inoubliable Seasat, est marquée par la présence de ce couple magique la vision et la volonté :
- avoir su identifier très tôt quels paramètres, mesurables depuis l'espace, étaient les plus susceptibles de faire progresser notre connaissance de "l'océan, cet inconnu",
- avoir poursuivi inlassablement la mise en place des moyens (cf. le système Doris) permettant d'effectuer, en routine, des mesures à des précisions dont on osait à peine rêver.
Cette vision et cette volonté sont nées simultanément, il y a quelques 20 ans, de chaque côté de l'Atlantique, et se sont confortées mutuellement depuis, en un dosage subtil, mais toujours excellent, entre compétition et coopération. Comment mieux illustrer de tels propos que par les extraits d'articles suivants :
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En 1965, Henri Stommel, écrivait : « les outils classiques d'observation de l'océan sont complètement inadaptés à l'ampleur du problème et les théories sur la dynamique des courants comportent une grande part d'imaginaire, faute d'observations. »
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Vingt trois ans plus tard, Bruno Voituriez, alors directeur à l'Ifremer, constatait en écho : «L'océanographie est à cet égard très en retard par rapport aux sciences de l'atmosphère dont elle est issue. [...] La recherche et l'exploration océanographiques doivent donc être des priorités pour la prévision de l'évolution du climat à cause du rôle que joue l'océan dans la dynamique du climat, mais aussi parce que l'océan est mal connu faute d'avoir pu être suffisamment observé ». Il concluait, de manière prophétique : « Les moyens spatiaux nous donnent maintenant la possibilité d'une observation complète de l'océan et donc [...] d'améliorer la prévision du climat. » Il commentait aussi sur le fait que l'observation de l'océan depuis l'espace ne rend pas caduques les mesures en mer, tout au contraire : si le premier donne une plus value considérable de par sa dimension planétaire, l'observation en mer restitue la troisième dimension, donnant accès à la stratification verticale de l'océan. N'oublions pas aussi, que les moyens spatiaux permettent de recueillir la position et les mesures de toutes sortes de stations (bouées dérivantes, mouillages). « C'est dès maintenant la perspective d'une véritable océanographie opérationnelle qui se dessine, mettant en oeuvre des réseaux de mesures océaniques analogues à ceux dont dispose la météorologie pour l'atmosphère. »
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Plus récemment, en 1991, Michel Lefebvre commentait dans un article de synthèse sur Topex/Poséidon : « Les techniques spatiales [...] fournissent un échantillonnage sans précédent ainsi qu'une surveillance continue. [...] L'objectif n'est pas seulement d'observer, mais aussi de faire des mesures, utilisables comme contraintes quantitatives dans les modèles numériques. »
Le chemin qui va du statut de spéculation intellectuelle à celui de réalité économique n'est pas entièrement parcouru; mais il est bien entamé et surtout bien balisé, de sorte qu'il n'y a plus qu'à le suivre ! Sur ce parcours de l'idée novatrice à la réussite, le soin et le souci du détail sont aussi des facteurs de succès. Le meilleur exemple est peut-être celui d'Aviso. Son but n'est pas seulement de fournir régulièrement, à l'issue d'un sévère contrôle qualité, les centaines de milliers de mesures de haute précision que délivre le système Topex/Poséidon, c'est aussi d'y adjoindre toutes les données auxiliaires nécessaires pour en tirer le meilleur parti et épargner une duplication d'efforts aux utilisateurs. Finalement, l'approche intégrée et interactive de l'équipe Aviso permet l'amélioration continue des performances de la mission, et conforte, si besoin était, l'intérêt d'assurer au delà de 1999 la poursuite des mesures.
Il existe aujourd'hui une communauté de chercheurs ayant collectivement une vision globale des "questions vives" en sciences de la planète TERRE. Leur démarche scientifique, intégrée et transdisciplinaire et les résultats qu'elle produit nous enthousiasment un peu plus chaque jour. Le progrès des connaissances permet, entre autres, de réduire la part du hasard, (ce qui n'est pas réduire la part du rêve...). A cet égard, la série de mesures homogène sur vingt ans que TPFO et ses successeurs permettront de réaliser apportera une contribution inestimable à la compréhension du climat de notre planète et de son évolution.