TOPEX/POSEIDON et TAO : Simulation comparative de deux systèmes d'observations pour le contrôle des circulations océaniques dans le Pacifique tropical
L. Parent, J. Verron, C. E. Testut et P. Brasseur (LEGI, France)
L'objet de cette note est de relater les résultats que nous avons obtenus en comparant "en mode simulé" les performances des observations issues de l'altimètre TOPEX/POSEIDON (T/P) et celles issues du réseau Tropical Atmosphere Ocean (TAO) pour reconstituer efficacement les circulations océaniques, en surface et en subsurface, dans le Pacifique tropical, via un modèle numérique et une méthode d'assimilation.
La démarche méthodologique est celle, classique en météorologie, des OSSEs (Observing System Simulation Experiments): Avec les outils de la modélisation numérique et de l'assimilation on essaie de simuler les performances d'un système d'observation et d'en optimiser la configuration. Les systèmes d'observation auxquels nous nous référons ici (T/P et TAO) existent déjà et ne requièrent pas une "optimisation" mais il nous a paru intéressant de comparer leurs performances a posteriori, dans une situation présentant certains caractères idéalisés, afin d'en tirer des enseignements éventuels pour d'autres systèmes d'observations et prendre une mesure de ces deux systèmes existants ayant apporté une amélioration incomparable à notre connaissance de la circulation océanique dans l'océan Pacifique tropical.
Les limites de ce genre d'exercice sont grandes. Dans un passé récent, ces limites tenaient aussi bien à la stratégie expérimentale employée (caractère "idéal" des "expériences jumelles") qu'aux limites propres au modèle numérique employé et à celles des techniques d'assimilation. L'océanographie a évolué rapidement ces dernières années et dans le cas présent, nous considérons que le modèle numérique d'océan et la méthode d'assimilation ne sont plus nécessairement les maillons les plus faibles de la chaîne. La stratégie expérimentale reste cependant idéalisée.
Le modèle utilisé est le modèle OPA du LODYC qui s'appuie sur les hypothèses classiques des modèles aux équations primitives et considère une coordonnée z sur la verticale. La résolution employée ici est de 25 niveaux sur la verticale, variant de 5 m en surface jusqu'à 1000 m pour la couche de fond. La résolution méridienne est de 1/2 ° à l'équateur et croit en latitude, pour atteindre 2° aux frontières nord et sud. La résolution zonale est de 1°. L'ensemble du bassin Pacifique est considéré dans son extension zonale (de 120°E à 70°W). L'extension méridienne du domaine est de 20° au nord et au sud; une zone "tampon" entre 20° et 30° étant utilisée pour le raccordement avec les gyres subtropicaux [Madec et al., 1999].
La méthode d'assimilation choisie est le filtre SEEK qui est une version sous-optimale du filtrage de Kalman avec réduction d'ordre et tel que la base réduite avec laquelle est propagée la covariance de l'erreur de prédiction évolue dynamiquement avec le modèle. Cette méthode introduite par Pham et al. [1998] a été déjà implantée et validée sur le bassin Pacifique [e. g. Verron et al., 1999; Gourdeau et al., 1999]. Le nombre d'EOF utilisé pour la base réduite est de 10. L'assimilation est réalisée sur une période d'une année et les observations assimilées tous les 3 jours.
Stratégie expérimentale
L'idée de ce travail repose sur une question simple: Quelles sont les performances comparées de T/P et de TAO et notamment que se passe-t-il si l'on dégrade la densité du réseau d'observations TAO ? La stratégie est également simple. On suppose que les données sont simulées et que le modèle numérique est parfait. La physique des deux systèmes d'observations est donc parfaitement consistante avec celle du modèle.
En pratique, on se sert donc d'une séquence temporelle indépendante d'intégration du modèle pour extraire des pseudo-observations: Celles de la topographie dynamique de surface échantillonnée conformément aux traces réelles du satellite pour T/P, celles de la température de surface et subsurface aux points géographiques des mouillages pour TAO.
Les observations T/P et les observations de chacun des scénarios TAO sont assimilées de manière comparative dans autant d'expériences différentes. Les résultats sur la reconstitution des champs océaniques (SSH, T, S, U, V) sont comparés à la référence d'où sont extraites les observations et dont on connaît parfaitement toutes les caractéristiques spatio-temporelles et qui constitue donc la référence "absolue". Ils sont surtout comparés de manière "relative" les uns par rapport aux autres.
La mesure utilisée ici est celle de l'écart quadratique moyen entre les champs "reconstitués" gràce aux observations considérées et les champs de référence. Cet écart varie assez sensiblement tout au long de l'expérience. Pour des raisons de simplicité de présentation, nous avons montré dans les figures qui suivent les chiffres synthétiques correspondants à la moyenne des erreurs sur la séquence entière d'une année. L'erreur relative à une certaine variable (par exemple le CHAMP de vitesse zonale à la profondeur de 100 m) est représentée par la moyenne annuelle des écarts quadratiques moyens entre toutes les valeurs de cette variable au cours du temps avec le CHAMP de référence. Un seul nombre caractérise donc l'efficacité de telle configuration du système d'observation pour contrôler telle variable à telle profondeur.
Scénario T/P
La situation de T/P est simulée exactement comme le satellite réel en terme d'échantillonnage spatio-temporel. Les observations altimétriques sont supposées affectées d'une erreur de 6 cm rms.
Scénarios TAO
Plusieurs scénarios différents ont été considérés pour le réseau de mouillage TAO en dégradant progressivement la couverture spatiale totale du réseau. La Figure 1 montre cette couverture. Les scénarios testés sont notés de la manière suivante:
- TAO-TOT : correspond à la couverture totale
- TAO-Z5 : correspond à une dégradation par élimination des deux lignes de mouillage zonales les plus extérieures, c'est à dire à 8°N et 8°S. Cinq lignes zonales de mouillage sont donc considérées: 0°, 2°N/S et 5°N/S.
- TAO-Z3 : seules trois lignes zonales de mouillage sont considérées: 0° et 2°N/S
- TAO-Z1 : seule la ligne équatoriale est maintenue.
- TAO-M : correspond à un sous-échantillonnage méridien dans lequel une ligne méridienne sur deux est enlevée.
- TAO-Ouest : correspond à ne prendre en compte que les mouillages TAO situées à l'ouest de la longitude 180°, cette dernière comprise.
- TAO-Est : de manière symétrique, cette situation correspond à une prise en compte des mouillages TAO situées à l'est de la longitude 180°, cette dernière comprise.
Les observations en température des mouillages TAO sont supposées entachées d'une erreur de 0.15°C rms.

Résultats
Les résultats sont synthétisés sur les Figures 2, 3 et 4. Pour chaque scénario d'observations et pour chaque variable (pour la topographie de surface, seule la surface est évidemment concernée), un indice de performance est tracé en fonction de la profondeur. Nous montrons ici les résultats relatifs à la topographie dynamique de surface et aux champs 3D global de la température et de la vitesse (Figure 2) ainsi qu'à la température (Figure 3) et à la vitesse zonale pour chaque niveau (Figure 4).

Figure 2 : Indice de performance sur les variables SSH, température globale T et vitesse globale U suivant les différents scénarios.
Conclusions et limites
La conclusion générale est que les systèmes d'observation T/P (focalisé sur le Pacifique tropical) et TAO (dans son intégralité des 70 mouillages et en nous limitant à l'observation de la température) sont d'une efficacité très similaire pour contrôler les diverses variables du modèle. Ce résultat n'est pas a priori évident compte-tenu notamment du fait que les variables observées sont très différentes et les conditions d'échantillonnage non moins différentes.
Une dégradation de la couverture du réseau TAO conduit rapidement à une forte altération des performances. Cependant de manière intéressante, la symétrie géographique zonale du réseau n'est pas cruciale: une bonne densité d'observations TAO à l'est permet un contrôle très satisfaisant de l'ensemble du système y compris dans la région ouest. Par ailleurs, le sous-échantillonnage zonal (TAO-M) consistant à soustraire une section méridienne sur deux a des conséquences relativement peu importantes sur la performance globale.
Un résultat important concerne la dimension verticale: la consistance est grande dans tous les cas entre la surface et la subsurface et on n'observe pas de dégradation significative des résultats en profondeur. Un résultat contre-intuitif est même observé, particulièrement sur le CHAMP de vitesse, où le contrôle à des niveaux profonds est souvent meilleur que celui des niveaux de surface.
Les limites de l'exercice et donc, des conclusions précédentes, doivent être rappelées. Une stratégie dite d'expériences jumelles a été employée qui fait l'hypothèse d'une qualité parfaite des observations et d'une adéquation parfaite des observations et du modèle. Ceci n'est évidemment qu'une approximation, car les modèles ne sont encore capables que d'une représentation bien imparfaite de la réalité. La méthode d'assimilation est également placée dans des conditions trop favorables puisque les statistiques d'erreur sont parfaitement connues. Nous pensons néanmoins que ce genre d'exercice est d'intérêt et que les outils de la modélisation et de l'assimilation pourront apporter une aide appréciable à la définition et à la conception des systèmes d'observations dans le futur.
Bibliographie :
- Gourdeau L., J. Verron, T. Delcroix, A. J. Busalacchi et R. Murtugudde, 2000: Assimilation of Topex/Poseidon altimetric data in a primitive equation model of the tropical Pacific ocean, 1992-1996. J. Geophys. Res., 105 (C4), 8473-8488.
- Madec, G, P. Delecluse, M. Imbard, and C. Lévy, 1999: OPA 8.1 Ocean General Circulation Model reference manual. Note du Pôle de modélisation, Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), France, N°XX, 91pp.
- Pham, D. T., J. Verron, and M. C. Roubaud, 1998: A Singular evolutive extended Kalman filter for data assimilation in oceanography, J. Mar Syst., 16(3-4), 323-340.
- Verron J., L. Gourdeau, D. T. Pham, R. Murtugudde, and A. J. Busalacchi, 1999: An extended Kalman filter to assimilate satellite altimeter data into a nonlinear numerical model of the tropical Pacific Ocean: Method and validation, J. Geophys. Res., 104, 5441-5458.