Les tortues marines sont connues pour leur forte fidélité vis-à-vis de sites d'alimentation côtiers et de sites de reproduction, ainsi que pour leur étonnante capacité d'orientation, qui leur permet d'effectuer périodiquement des migrations entre ces endroits. Leurs performances sont d'autant plus surprenantes que les plages sur lesquelles les femelles viennent pondre se situent parfois sur de petites îles isolées en plein océan, à des centaines voire des milliers de kilomètres de leur site d'alimentation. Les mécanismes et les informations utilisés par les tortues pour s'orienter à grande distance sont encore mal compris, mais plusieurs hypothèses sont avancées: certaines proposent que les tortues utiliseraient des informations olfactives (sous-marines et/ou aériennes) alors que d'autres indiquent qu'elles utiliseraient des informations de nature géomagnétique. Pour observer et tenter de comprendre le comportement d'orientation des tortues marines, des scientifiques équipent des individus d'émetteurs Argos et suivent leurs déplacements.
Cependant, jusqu'à présent, l'impact mécanique des courants sur les déplacements des tortues n'a jamais été pris en compte de manière quantitative. Or, le développement de l'océanographie spatiale permet aujourd'hui de fournir une bonne estimation des courants rencontrés par les tortues durant leur déplacements océaniques. Des biologistes (Université de Pise, CNRS, IRD, Ifremer) et des océanographes physiques (Legos/CTOH) ont donc travaillé ensemble afin de mieux comprendre l'impact des courants sur les déplacements des tortues.
Trajet retour d'une tortue (localisée par Argos) déplacée et relâchée à 245 km au sud-est d'Europa. Au terme de 59 jours, au cours desquels elle a parcouru 3515 km, elle a finalement rejoint son site de ponte. Ce trajet, analysé indépendamment de la présence des courants, suggère que cette tortue était relativement peu efficace pour s'orienter vers son site de ponte mais qu'elle estimait néanmoins vaguement la direction à prendre pour le rejoindre. (Credits Université de Pise/CNRS/IRD).
Photo d'une tortue verte (Chelonia mydas) équipée d'une balise Argos (Crédits S. Ortegat).
Novembre 2003, une expérience dite de "retour au gîte" (homing experiment) a été réalisée à partir d'Europa, une petite île isolée située dans la moitié Sud du Canal du Mozambique. Elle a consisté à prrendre trois tortues vertes femelles (Chelonia mydas) sur leur plage de ponte juste avant qu'elles ne retournent à la mer, à les équiper de balises Argos, et à les relâcher à 112 ou 245 km au sud-est de l'île. Durant leur saison de reproduction, les tortues vertes pondent plusieurs fois sur la même plage ; lorsqu'elles sont déplacées cette plage en début de saison de reproduction, elles sont fortement motivées pour y revenir. Ce type d'expérience permet donc d'étudier leurs capacités d'orientation, de tester les différentes hypothèses d'orientation proposées et d'étudier l'impact mécanique des courants sur leurs déplacements.
Trajet retour de la même tortue (points noirs) vers l'île d'Europa (point rouge), avec les anomalies de hauteur de mer et les vecteurs du courant total (courant géostrophique absolu + composante due au vent). L'animation montre qu'après le premier déplacement vers l'Ouest, où la tortue a rencontré des courants opposés ou transversaux, les quatre boucles parcourues correspondent à la présence de tourbillons cycloniques et anticycloniques. Elle suggère que des courants océaniques présents dans la zone ont eu un fort impact sur le trajet retour de la tortue, et que donc l'analyse du seul trajet ne permet pas d'estimer de manière fiable les capacités d'orientation de cette tortue. Cet exemple illustre l'intérêt et la nécessité d'extraire la composante courantologique des déplacements de tortues marines, afin d'accéder à leur mouvement propre (i.e. leurs mouvements de nage) et d'étudier leur comportement, en particulier leur capacités d'orientation. Voir l'animation (3 Mo).
(Credits Université de Pise/CNRS/IRD (localisations), Aviso (anomalies), Legos/CTOH (courants))
Voir aussi :
- Image du Mois, juillet 2004 : Les tortues Luth jouent du tourbillon.
Quelques sites sur ce thème :
- SeaTurtle.org (textes en anglais)
Références :
- Girard C., Sudre J., Benhamou S., Roos D. & Luschi P. Homing in green turtles (Chelonia mydas): do oceanic currents act as a constraint or as an information source?, Marine Ecology Progress Series (sous presse)
- Girard C. 2005. Etude du comportement d'orientation d'espèces pélagiques tropicales vis-à-vis d'attracteurs. Thèse de Doctorat de l'Université de La Réunion, 250 p.